Pas de réponse. Il n'y avait rien de particulièrement inquiétant dans le fait que Tyler n'ait pas pris la peine de répondre à son énième message, mais Aloysius ne pouvait s'empêcher de vérifier son portable toutes les quatre secondes, comme pour s'assurer qu'il n'avait pas mal vu. Mais son écran continuait de ne rien afficher d'autre que l'heure qui s'écoulait lentement. Le jeune étudiant lança un regard circulaire à la bibliothèque de la faculté. Toujours personne, à part le groupe d'étudiants en arts appliqués qui devaient sans doute bosser sur un projet de fin d'année. Pour la énième fois, il soupira et baissa les yeux sur son livre des empires coloniaux, observant sans réellement le voir, l'intitulé du chapitre du l'empire Allemand de Bismarck. Nouveau coup d’œil en direction du portable mais rien, si ce n'était le chiffre des minutes, n'avait changé depuis la dernière fois. Il détourna alors le regard de l'épais manuel qu'il devait éplucher pour un prochain devoir à rendre et s'aperçut que la nuit tombait plus vite qu'il ne l'avait pensé, à l'extérieur. Il était grand temps pour lui de prendre le chemin de l'appartement, d'affronter ses trois frères aînés et de décliner leur offre de sortir. Avec un peu de chance, Joachim et Geoffroy ne se seraient pas encore entre-tués. Sans accorder la moindre attention au groupe d'artistes dont les éclats de rire commençaient à lui parvenir, Aloysius referma le livre dans un bruit étouffé et, après l'avoir fourré dans son sac de cours, fit racler les pieds de sa chaise avant de se lever et tourna les talons. Sa discrétion et sa timidité naturelles l'avaient toujours poussé à trouver une table non loin d'une sortir pour ne pas trop se faire voir ou pour pouvoir s'éclipser sans qu'on ne lui pose trop de questions. Il ouvrit la porte, jeta un dernier regard sur son portable. Toujours rien. Alors il s'engagea dans le campus vide de moitié. La plupart des étudiants profitaient du week-end pour sortir faire la fête et voir jusqu'à perdre la tête. Il n'était jamais invité à une de leur party, sauf si l'un de ses frangins l'était, bien évidemment. Ça ne le dérangeait pas plus que cela ; au moins, il se savait tranquille les week-end où il voulait bosser ou lire sans qu'on ne vienne le déranger. Ou, à l'instar de ce soir-là, où il voulait essayer de tirer son meilleur ami de son appartement pour lui changer les idées.
Il arrivait au métro lorsqu'il hésita à envoyer un nouveau message à Tyler, mais il s'y abstint. Insister ne lui assurait pas une réponse et il était bien trop effacé pour oser prendre un peu d'autorité. Hors de question pour lui de forcer l'enseignant à quitter son canapé sur lequel il gisait tel un cadavre depuis sa rupture si celui-ci ne désirait pas bouger. Et pourtant, il aurait aimé être moins timide, moins maladroit pour débarquer à la porte de Tyler, la défoncer si c'était nécessaire et l'obliger à s'habiller presque convenablement pour sortir écumer les bars, ou les boîtes de nuit. N'importe quoi qui pouvait lui faire oublier cette Eléa qui piétinait son cœur au point de le laisser dans un état larvaire. Si le jeune étudiant ne recevait pas quelques nouvelles via les téléphones de temps en temps et s'il n'avait pas eu la certitude que son ami continuait de se rendre en cours la semaine, il aurait sans doute juré qu'il était devenu un vrai légume et qu'il était grand temps de l'emmener à l'hôpital pour qu'il soit pris en charge par des personnes compétentes. Au lieu de ça, Aloysius se continuait d'assister, impuissant, à la chute psychologique de son plus proche ami. Il ne savait pas trop comment agir dans une telle situation – ça ne lui était jamais réellement arrivé avant ce jour, en réalité. Déjà en Allemagne, il n'avait jamais été un garçon très populaire et ses frères s'étaient toujours relevés après une rupture. Quant à lui, eh bien... Il n'avait jamais eu de relations et même aujourd'hui, il ignorait si son début d'amitié avec Arizona devait être compter dans le lot. Après tout, il ne l'avait vue qu'à quelques reprises jusqu'à présent, environ cinq fois lors de diverses occasions, et si elle lui était sympathique et agréable, il ignorait bien la marche à suivre lorsqu'il était à ses côtés. De quoi lui assurer qu'il ne pouvait réellement pas venir en aide à Tyler, si ce n'était pour lui proposer de boire un verre – ou dix, ou quinze, le nombre n'était pas le plus important – et essayer de lui dire de se changer les idées.
Facile à dire mais beaucoup plus difficile à mettre en application.

Il fouinait dans son sac à la recherche de ses clefs lorsque son portable vibra dans sa poche. Aussitôt, Aloysius le sortit et découvrit le message de Tyler. Celui-ci acceptait la proposition, l'idée, et trouvait même la force de faire un peu d'humour. Un sourire sur les lèvres, le jeune garçon tapa rapidement quelques mots, sans doute un Tkt, j'prévois le taxi pour rentrer, on serait bien capable de se perdre avant d'appuyer le bouton envoyer et de retourner dans ses fouilles. Les clefs tintèrent lorsque ses doigts parvinrent enfin à leur mettre la main dessus et, c'est avec triomphe, qu'il s'aperçut que la porte d'entrée était en réalité déjà ouverte, signe que l'un de ses frères était sûrement sur le point de partir. Il ne retint pas un juron et pénétra dans l'appartement, la tête baissée, salua rapidement Benedikt, derrière les fourneaux tandis que Geoffroy, à en juger par la frénésie dont il faisait preuve, s'activait pour sortir. Le cadet de la famille en eut la confirmation lorsque le deuxième Hazelwood leur adressa un vague au revoir et claqua la porte derrière lui avant que le bruit de la serrure ne se fasse entendre. Aloysius traversa le salon avec un vague sourire amusé sur les lèvres et entra dans sa chambre. Bon. Est-ce qu'il avait besoin de se changer pour aller dans un bar, à Brooklyn qui plus est, ou est-ce qu'il avait juste besoin de se passer un coup d'eau dans les cheveux pour avoir l'air vaguement présentable ? Il jeta un coup d’œil à son reflet sur le vitra et décida de simplement se passer dans les mains dans ses cheveux blonds-roux. Faudrait qu'il pense à les couper, d'ailleurs, ils commençaient à devenir longs.
Satisfait par son allure – qui était plus ou moins celle de tous les étudiants, en réalité – il attrapa ses clefs, son portable qu'il remit dans la poche de son jean, sortit quelques billets de son porte-monnaie et, après avoir avertit Benedikt qu'il rentrerait tard, quitta l'appartement aussi rapidement qu'il y était entré. C'était presque un don, chez lui.

Regardant l'heure une dernière fois sur son portable, Aloysius tira la porte du bar avant d'y pénétrer. Personne, si ce n'est peut-être le barman, ne s'occupa de son entrée. Comme d'habitude. Il se frotta la nuque nerveusement, cachant ses mains dans les longues manches de son sweat et, après avoir laissé ses yeux noisette survoler la salle et avoir repérer où s'était déjà assis Tyler, il alla le rejoindre. Un verre se trouvait déjà devant lui et Aloysius ne put retenir une légère grimace. S'il avait commencé à boire sans même l'attendre, le reste de la soirée s'annonçait sans doute plus agité qu'il n'aurait put l'imaginer. « Salut mec, » lâcha-t-il quand même avant de s'asseoir en face de l'enseignant avant de faire un signe en direction du barman pour une bière. Il préférait commencer soft, surtout s'il devait garder un œil sur Tyler. C'était sans doute plus prudent. « Alors ? Tu comptes faire quoi ce week-end ? Et ne me dis pas que tu vas encore rester sur ton canapé. Parce que le jour où vous divorcerez tous les deux, ça risque d'être très difficile. Je crois d'ailleurs que ses ressorts souffrent un peu. » Il esquissa une grimace qui se voulait légèrement amusante et faussement embarrassée afin d'essayer de détendre un peu l'atmosphère qu'il sentait presque électrique. Comme on venait lui déposer sa bière devant lui, Aloysius remercia le serveur, but une gorgée. « Non, sérieusement mec, tu peux pas rester comme ça, il faut que tu te reprennes en main. » C'était un discours qu'il avait entendu une fois dans l'un de ces films romantiques que Nicolaà lui avait fait regarder quand ils étaient plus jeunes. Une réplique qui l'avait marqué sans trop qu'il ne sache pourquoi mais qui lui semblait convenir parfaitement dans une telle situation. Même si elle était sans doute inutile ; l'étudiant en histoire connaissait bien trop son ami pour savoir qu'il avait conscience de ce fait.

Aloysius était entré dans le bar sans se faire voir par Tyler. Peut-être parce que la banquette sur laquelle il était assit ne faisait pas face entièrement à la porte d'entrée, ou bien parce qu'il n'arrivait pas à se retirer Arizona de la tête. Il remarqua son meilleur ami quand celui-ci se posta devant la table. Aloysius grimaça quand il remarqua le verre à moitié vide de Tyler. Il ne doit pas aimé ce cocktail imagina Tyler, sur un ton sarcastique. Boire avant même que son ami soit arrivé. Tyler devenait de plus en plus un cliché du type pitoyable. On se servirait sûrement de son prénom pour personnifier le pathétisme. Il le savait. Il s'en fichait.