elina & luukas

Le monde danse. Effervescence. Quintessence. Le monde nage. Mirage. Mirage. Le monde tangue. Titube. S'effondre. Se brise. Il n'y a plus rien à quoi se raccrocher. Plus de meuble, plus de lit. Plus de sol, non plus. Elle est comme suspendue. A rien. Au vide. L'air disparaît. Elle suffoque. S’asphyxie. Elle souffre. Mal au crâne, mal à la poitrine, mal au corps. Mal à l'âme. Comme un monstre qui la déchire, qui la bouffe. Elle perd pied. Mais ne peut plus faire marcher arrière. Elle essaie pourtant. Recule. Encore. Encore un peu. Une lampe tombe. Se brise. Elle marche sur les débris. S'entaille le pied. Elle n'est plus là. Plus vraiment. Son lit revient. Elle le fuit. Se précipite dans un coin. Rencontre le mur. Brutalement. Un cadre se décroche. Tombe. Encore plus de verre sur le sol. Elle a mal. Mal aux pieds, mal aux mains, mal à l'âme. Il y a plein de bruit. Trop de bruit. Des murmures. Et des visages. Fantomatiques. Elle a envie de laisser sa colère éclater. Au grand jour. Ses poings frappent le sol. Plus fort. Encore plus fort. Les larmes jaillissent. Elle ne veut pas faire de mal. C'est une gentille fille. Si gentille fille. Une âme en peine, égarée. Ses doigts caressent la surface d'un écran. Composent un numéro. Ça sonne. Personne ne va répondre. Personne ne l'aime. Parce qu'elle est folle. Parce qu'elle est morte. A l'intérieur.
Elle pleure. La voix à l'autre bout l'énerve. Et l'apaise. « Je vais pas bien. Je crois qu'ils vont me tuer. Ou je vais leur faire du mal. Je veux pas lui faire du mal. Mais je veux son sang. J'en ai besoin mais je veux pas. J'y arrive pas. Ils vont me faire du mal. Ils vont me faire du mal. »Les larmes redoublent. La porte s'ouvre, une ombre apparaît. Elle se colle encore davantage contre le mur, supplie qu'on la laisse tranquille. Elle a peur. Mais elle est sereine. Le visage ne lui dit rien mais semble familier. Elle raccroche. Elle n'en peut plus. L'ombre s'approche. Elle couine. Elle a peur. Elle a mal. « M'approchez pas. Je vous en prie, m'approchez pas. J'ai rien fais, j'ai rien fais. » Trop de bruit. Trop de monde. On l'attrape. Elle se défend. Griffe le visage de quelqu'un, mord le bras d'un autre. Donne des coups de pieds et distribue les claques. Une piqûre au niveau de l'épaule et puis une sensation étrange. Elle est dans le brouillard. Un joli brouillard. Gris clair mais assez épais pour qu'elle n'y voit rien. Il la rassure. Et elle entend cette voix. Si calme. Si douce.
Et puis plus rien.

Un bruit familier. Celui d'un rythme cardiaque régulier. Et des voix, plus lointaines. Des termes médicaux, des mots compliqués qui lui échappaient. La jeune femme sentit un corps contre le sien, porta une main à sa tête douloureuse. Une douleur à la main, familière, elle aussi. Elle ouvrit les yeux, ses paupières papillonnent un instant, le temps de s'adapter aux couleurs trop vives de la pièce. Ce n'était pas sa chambre. Trop de blanc. Elle bougeait peu, essayait de se rappeler de la veille, de comprendre. Elle caressa le dos de sa main lentement, sentit un objet dur sur celle-ci. Ses yeux gris se posèrent alors sur l'objet en question et elle laissa un gémissement lui échapper. Elle était à l'hôpital. Encore. Elle sentit les larmes venir monter, se loger dans sa gorge mais elle les retint. Tant bien que mal, elle se redressa, prenant enfin connaissance du corps chaud proche du sien. Un sourire triste apparut sur ses lèvres en reconnaissant la chevelure d'Elina. Elle essayait d'être discrète pour ne pas attirer son attention ; elle ne savait pas depuis combien de temps elles étaient là, toutes les deux, partageant un lit trop étroit pour que les médecins aient accordé le droit de rester à son amie. Le soleil, dehors, était déjà levé et en parcourant la pièce du regard, Luukas s'aperçut que la veste de Jay traînait sur un fauteuil. Sans que le jeune homme ne soit là. Elle s'assit sur le lit, repoussa la couverture d'un geste lent. Mais elle n'eut pas le temps de quitter le lit que la porte s'ouvrait, dévoilant le jeune égyptien, deux gobelets dans les mains.
La jeune femme baissa la tête, honteuse. Il s'avança dans la pièce, sans rien dire, avec un maigre sourire. Il avait quatre petite coupure au niveau de la joue et, sans un mot, elle les pointa du doigt. Il esquissa une grimace et elle eut peur de comprendre. De nouveau, les larmes vinrent la menacer mais il s'approcha bien vite, posa une main sur son épaule. « Hey, c'est rien. J'ai connu pire que tes petites griffes de chaton. » Elle voulait sourire mais n'y parvint pas. Alors elle changea de sujet, c'était ce qu'il y avait de mieux à faire. « Comment... ? » Du doigt, elle désigna Elina et Jay haussa les épaules. « Je l'ai appelée pour lui dire que t'étais ici. Elle a déboulé dans les minutes qui ont suivit et ne t'a pas quittée depuis. » Ses yeux d'acier se posèrent sur sa plus proche amie et, se recouchant auprès d'elle, Luukas lui caressa les cheveux. Elina était un vent frais dans sa vie. Elle était partagée entre le soulagement de la savoir ici et la peur de sa réaction. Seul Jay savait pour sa maladie. Elle aurait préféré avoir le courage d'avertir Elina avant qu'il ne soit trop tard. Du bout des doigts, elle jouait avec les beaux cheveux de la brune. Du coin de l’œil, elle vit Jay déposer l'un des gobelets sur une petite table, sans doute destiné à Elina et ce fut à peine si elle l'entendit la prévenir qu'il allait demander à un médecin s'ils pourraient rentrer rapidement. Elle s'en foutait. Elina était là. Jay était là. Elle devenait indestructible, avec eux à ses côtés.