◮ Depuis combien de temps es-tu à New-York ? Je suis née ici, bien que j'ai l'impression de venir de nulle part. Mon père est russe, ma mère est américaine. Je n'aime pas particulièrement cette ville, j'étais bien à Moscou. Mais ici, il y a ma meilleure amie, il y a le père de ma fille. Bon il n'est pas au courant mais cela ne saurait tardé. Mes parents vivent ici également même si je me demande s'ils se considèrent encore comme tels. Enfin bref, ce n'est pas la question si ? Je suis revenue ici il y a quelques mois, depuis un exil de deux ans en Russie. 
◮ Que penses-tu de la guerre entre les deux clans ? Rien. Je n'en pense rien. C'est juste une guerre des clans entre des fils et des filles à papa. Il n'y a rien d'autre à ajouter. Ils se battent pour savoir lequel gagnera la palme du plus gros bourge. Je n'aime pas ce milieu, je n'aime pas ce qu'ils représentent alors je me contente de les regarder se déchiqueter, en espérant que cette guéguerre les anéantira tous. 
◮ Crois-tu qu'un jour tu pourrais prendre parti/as-tu déjà choisi ton camp ? Non. J'ai d'autres soucis. Elever ma fille par exemple, essayer de faire en sorte qu'elle apprenne l'anglais avant son entrée à la maternelle. Me demander comment je vais annoncer à son père qu'il est père. Prendre soin de ma meilleure amie. Toutes ses choses qui leur passent cent mètres au dessus de la tête. Je n'ai pas de camp, je ne compte pas en avoir. Ils sont tous plus ridicules les uns que les autres. 
◮ As-tu des proches impliqués dans la guerre ? Non. Je n'ai pas de proches impliqués dans cette guerre. Enfin, je ne pense pas. Je n'ai pas encore eu l'occasion de revoir mes parents et mon frère depuis mon retour. Et pour tout dire... Je m'en fiche. 
◮ Selon toi, qui en sortira vainqueur ? Peu importe qui en sortira vainqueur, ils ne valent pas mieux les uns que les autres. 
◮ Que penses-tu de New-York ? New-York est une ville comme une autre. Je n'y suis pas réellement attachée bien que j'y suis née. Ici, il y a ma meilleure amie et, quelque part, le père d'Anna. Je suppose que cela doit suffire à rendre cette ville spéciale. 

◮ Quels sont tes activités favorites ? Faire de la mosaïque tout en buvant un bon thé. Je casse toute sorte de choses puis j'assemble les morceaux pour en faire un motif. Je fais ca le soir, quand Anna est couchée. J'aime aussi mon travail : je suis employée dans une galerie d'art. Ce n'est pas le metier le mieux payé au monde mais c'est celui que j'ai choisi. Le week-end j'amène Anna à Central Park et on mange une glace. C'est notre petit rituel. 
◮ Te sens-tu en sécurité à New-York ? Oui. Du moins, je ne me sens pas moins en sécurité qu'ailleurs. 
◮ Veux-tu rester à New-York jusqu'à la fin de tes jours ? Je n'en sais rien. Une fois qu'Anna aura grandi, je pense que nous rentrerons en Russie. 
◮ Penses-tu avoir des amis sincères ? Oui. Luukas. Cette fille a été diagnostoquée comme psychotique mais c'est la personne la plus saine d'esprit que je connaisse. Elle ne m'a pas laissée tomber lorsque j'attendais Anna. Elle est ma meilleure amie, mon meilleur soutien. Je l'aime comme ma propre soeur, elle est ce qu'il se rapproche de plus d'une famille pour moi. Avant que je parte, il y avait aussi Enzo. On était proches lui et moi, au point que je me fasse passer pour sa petite amie aux yeux de ses parents. Je suis partie sans lui dire au revoir et je ne l'ai jamais contacté. Je ne sais pas comment il va prendre mon retour. 

◮ Qu'aimerais-tu changer dans cette ville ?  Je n'en sais rien, je ne me suis jamais poser la question. Cette ville me convient comme elle est.

◮ Quel est ton plat préféré, ton style de musique et toutes les autres choses de ce genre ? J'aime la musique classique et le théâtre. Ma babushka m'emmenait avec elle au Bolshoi quand j'étais à Moscou et j'adorais ça. J'aime tout ce qui se rapporte de prêt ou de loin à ma culture russe. J'aime le thé de Kranosdar et toutes les spécialités à base de fromage blanc. J'aime visiter les musées et lire. J'aime tout ce qui se rapporte à l'art en général. 

◮ Tu m'aimes ?  Et toi ? Tu m'aimes ? 

Elina est née le 01 janvier 1993. Elle a un frère jumeau, Evgeni. Elle a un père, un oligarche russe plein aux as, qui a épousé la première venue pour qu'elle lui fasse des héritiers et éviter que son empire ne soit vendu lors de sa retraite. Sa mère, Jillian, n'est donc rien d'autre qu'une call girl un peu plus jolie et un peu moins stupide que la moyenne. Elina et Evgeni ont été élevés par une nourrice, son père trop pris dans ses affaires et sa mère trop occupée à dépenser l'immense fortune de son mari. La seule personne qui s'occupait un tant soit peu d'eux fut leur grand mère mais celle ci, résidant à Moscou, ne restait jamais trop longtemps.


Son père a toujours tout fait pour que ses enfants rentre dans le moule prévu pour eux bien avant leur naissance : grandes écoles primaires, collèges réputés, lycées privés. Ils avaient même un prof particulier qui venait dans leur immense hôtel particulier de l'Upper East Side. Les jumeaux devaient accompagner leurs parents à des brunchs et autres mondanités, où les époux Naborskov les exposaient comme des singes savants. Si Evgeni s'est parfaitement intégré à ce monde, cela n'est pas la même chose pour Elina. Elle déteste la vie qui a été choisie pour elle, elle déteste cette maison ridiculement grande. Elle déteste que son père choisisse ses options scolaires à sa place, elle déteste que sa stupide mère s'occupe plus de la couleur de son vernis à ongle que de ses enfants. C'est à l'entrée au lycée qu'elle commença à se rebeller, à sécher les cours d'économie pour les cours d'arts plastiques et de musique. Bien sur, son père l'a punie de nombreuses fois pour cela mais elle s'en fichait. Elina prit une décision cette année là : Plus personne ne choisirait à sa place. Ses parents ne pourraient pas l'empêcher de suivre les cours qu'elle aimait, de continuer à fréquenter Luukas sous prétexte qu'ils la trouvent bizarre. Bizarre pour eux signifiait bien souvent moins riche.


C'est durant le cours d'arts plastiques qu'elle fit la rencontre d'un jeune homme, Nolan. Il était un peu plus âgé qu'elle, un peu moins riche aussi. Ses parents se saignaient aux quatre veines pour offrir cet établissement à leur fils unique. Elina admirait sa famille, enviait l'amour que les parents portaient à Nolan. Ils se rapprochèrent, suffisamment pour tomber amoureux. Elle, elle l'était. Profondément, passionnément. Elle l'aimait parce qu'elle savait qu'il ne plairait pas à ses parents. Il ignore s'il en est de même pour lui. Encore aujourd'hui, c'est un fait qu'elle ignore. Ils sont restés un petit moment ensemble, quelques semaines. Puis, les parents d'Elina ont appris cette liaison.


Hôtel Naborskov à Upper East Side, il y a deux ans et demi :


« C'est un désastre ma fille, un véritable désastre. » Igor Naborskov hurle en russe, faisant les cent pas dans le salon principal. Ses parents ont trouvé le test de grossesse qu'elle a oublié dans sa poubelle, il y a quelques jours de cela. Elina est assise à la fenêtre, il fait beau et elle n'écoute pas ce qu'hurle son père. Elle a le malheur de sourire, un gifle l'atteint en plein visage. « Non mais tu te rends compte, sombre idiote ? Enceinte, à ton âge ? » Les larmes perlent à ses yeux tandis qu'une goutte de sang vient rougir le coin de ses lèvres. Elina se redresse, prends son courage à deux mains pour soutenir le regard incendiaire de son père : « Je ne peux pas être une pire parent que vous de toute façon. » Elina a fait exprès de parler en anglais, pour que sa mère tassée dans un coin de la pièce puisse comprendre. En plus de vingt ans de relation avec Igor, Jillian n'a jamais fait l'effort d'apprendre le russe. « Je garderai cet enfant, quoi que vous en pensiez. Je vais aller tout dire à Nolan, il m'aime et on.. ». Elle n'a pas le temps de finir sa phrase qu'un billet d'avion danse devant ses yeux. « Tu décolles après demain. Va faire tes bagages. Ma mère t'attends. » Elina se met à rire, pensant à une blague. Puis elle voit dans le regard de son père que ce n'est pas une plaisanterie. Au lieu d'affronter la grossesse de sa fille, il préfère l'envoyer à Moscou.


Deux jours après cette dispute, Elina prit un vol en direction de la Russie. Personne, hormis Luukas, n'est au courant de son exil forcé. Et certainement pas le père de l'enfant qu'elle porte.

Un appartement à Brooklyn, de nos jours :


« Anna... Finis tes frites. » Les mains sur les hanches, Elina regarde l'enfant qui affiche une moue boudeuse. « Niet. » Les boucles brunes de la petite fille dansent autour de son visage tandis qu'elle refuse, pour la cinquième fois déjà. Anna est comme ça depuis leur retour. Parfois, elle regrette d'être revenue dans cette grande ville, trop grande, et qui menace de les manger toutes crues. « Tu veux qu'on appelle Babushka ? » Un sourire se dessine sur les lèvres d'Anna tandis qu'elle saute de sa chaise.


Elina, accompagnée de sa jeune enfant Anna, est enfin rentrée à New York après prêt de deux ans passés en Russie. Sur les conseils de sa grand mère, elle ne s'est jamais rendue dans la faculté moscovite choisie par son père pour elle. A la place de cela, elle a prit des cours de théâtre au Bolshoi et des cours d'histoire de l'art. Luukas venait lui rendre visite de temps à autre. Elle a vu sa fille faire ses premiers pas dans la neige russe, sous le regard bienveillant de sa babushka. Igor pensait punir sa fille en l'envoyant en exil en Russie mais c'est tout le contraire qu'il s'est produit. Elina a adoré sa vie moscovite et n'exclut pas le fait d'y retourner. Elle est rentrée à New York pour annoncer à Nolan qu'il est le père d'une enfant de deux ans. Elle pense l'aimer encore un peu, bien que ce sentiment s'étiole au rythme des secondes.


Cependant, comme le dit un célèbre film : La vie est comme une boite de chocolat, on ne sait jamais sur quoi on va tomber.