◮ Depuis combien de temps es-tu à New-York ? J'y ai emménager avec mes frères il y a quelques années. Environ trois ans, il me semble. Avant, j'habitais avec mes frères chez nos parents, en Allemagne. Notre père est d'origine américaine, d'où notre nom de famille très anglicisé. C'est en voulant trouver la source de nos origines qu'on a décidé de s'installer ici. Et je crois que le mode de vie nous plaît bien, à tous.
◮ Que penses-tu de la guerre entre les deux clans ? Il y a une guerre ? Comme celle que l'on étudie en cours d'histoire ? Mince, si j'avais su, je ne serai pas venue m'installer... Je n'aime pas trop la guerre. Principalement parce que tout le monde rejette toujours la faute sur les allemands alors que le monde a changé depuis Hitler et les nazis. Je n'ai pas très envie d'être pointé du doigt sous prétexte que je suis allemand. Ho, vous ne parliez pas d'une telle guerre. Excusez-moi. J'en ai vaguement entendu parler, je n'en pense rien. Je crois qu'il y a des enjeux bien trop important pour qu'on se concentre sur guérilla qui n'a pas beaucoup d'impact dans le monde géo-politique.
◮ Crois-tu qu'un jour tu pourrais prendre parti/as-tu déjà choisi ton camp ? Je ne sais pas. Je ne pense pas m'impliquer, un jour, dans cette histoire. Je ne me sens pas vraiment concerné, vu que je suis d'un autre pays. Mais peut-être. Je ne sais pas. On m'a souvent reproché d'être très influençable alors peut-être que je suis impliqué sans même le savoir...
◮ As-tu des proches impliqués dans la guerre ? Je crois que l'un de mes frères, ou peut-être tous, se sentent concernés. J'ignore la raison, mais je sais que c'est par eux que j'en ai entendu parler. Il pouvait très bien s'agir d'un sujet comme un autre. En réalité, je n'en sais rien. Vous savez, j'ai beaucoup de mal à savoir dans quoi je suis impliqué moi-même, alors les autres...
◮ Selon toi, qui en sortira vainqueur ? Celui qui a les meilleurs armes ? Je ne sais pas trop à qui vous pensez. Je ne connais même pas le nom des clans ! Mais si c'était les Etats-Unis contre la Russie, les USA remporteraient, à coup sûr. Même contre la Chine, en fait. Quoiqu'il faut se méfier de la Chine, elle est bien plus puissante qu'on ne le pense... Je m'éloigne ? Pardon.
◮ Que penses-tu de New-York ? C'est une belle ville. Surtout la nuit, lorsque tout s'éclaire et qu'elle vit vraiment. Parce qu'il faut reconnaître que New York est principalement active la nuit. Un peu comme Las Vegas, dans le fond. Et puis ça me change de Brême qui est une grande ville pour l'Allemagne. Mais qui n'est rien de plus qu'un village pour les Etats-Unis. Ici, on a l'impression que le ridicule ne tue pas, qu'on peut faire tout ce qu'on veut. Il y a moins de préjugés, moins d'importance accordé aux détails. Tout le monde semble beau et bien. En Europe, c'est une toute autre mentalité. Ça change et ça fait du bien.
◮ Quels sont tes activités favorites ? J'aime beaucoup regarder des émissions. Qu'elles soient scientifiques, politiques, historique ou sur les voitures ou sur le surnaturel, je trouve ça très intéressant et enrichissant. C'est comme ça que j'en apprend beaucoup, même si je suis parfois obligé de les revoir pour tout retenir. Et j'aime beaucoup passer du temps avec mes frères. Ça peut paraître très sentimentaliste, mais on est vraiment très proche et je ne pense pas que j'aurai osé quitter l'Allemagne sans eux. Et puis, on n'a pas le temps de s'ennuyer, quand on est ensemble ! En revanche, je n'aime pas beaucoup sortir. Je n'ai pas peur, ou quoique ce soit, hein. Je n'aime juste pas.
◮ Te sens-tu en sécurité à New-York ? Oui, je crois. Enfin, à condition de ne pas trop regarder les informations longtemps. Avec les intempéries de ces derniers temps, j'avoue que j'ai un peu peur que le ciel nous tombe sur la tête, mais je ne pense pas qu'il y ait une criminalité en hausse. Il faudrait que je fasse une recherche, tiens, ça pourrait être intéressant.
◮ Veux-tu rester à New-York jusqu'à la fin de tes jours ? Je ne sais pas. Je verrai. J'aimerai bien retourner en Allemagne, j'ai un peu le mal du pays. Mais tout dépend, je pense. Peut-être que je trouverai une raison de rester ici ? Et puis, j'avoue ne pas trop aimer l'avion, alors si je dois le reprendre seul, ce n'est même pas la peine d'y penser.
◮ Penses-tu avoir des amis sincères ? J'ai mes frères, c'est déjà bien, non ? En tant que frères, on se fait l'honneur de toujours être sincères les uns envers les autres. Et on n'est pas forcément les plus délicats, donc j'ai au moins eux.
◮ Qu'aimerais-tu changer dans cette ville ? La fête. Il y en a trop, trop souvent. Parfois, c'est amusant, mais certains soirs, c'est vite embêtant. En plus, ça me rappelle quelque chose qui s'est passé en Allemagne. Quelque chose d'affreux. Je l'avais lu dans le journal.
◮ Quel est ton plat préféré, ton style de musique et toutes les autres choses de ce genre ? Je ne pense pas avoir de préférence, peu importe le domaine. J'aime tout. J'aime bien l'ouverture d'esprit, je pense que c'est quelque chose de très important. Alors je fais l'effort d'aimer un peu de tout. Mais j'avoue quand même que j'ai un peu de mal avec la nourriture, ici. C'est très gras et toujours en trop grosse quantité.
◮ Tu m'aimes ? Parfois oui, je t'aime bien. Mais pour être sûr de savoir si je t'aime ou non, ce serait plus simple si tu me disais qui tu étais. Et toi, tu m'aimes ?

« Putain, vous faîtes encore la une ! Faudrait que vous arrêtiez vos conneries les mecs ! » « Hé ! C'est pas notre faute, ok ? » « Ah oui ? Et c'est celle de qui hein ? Idiots ! Vous savez pas rester tranquille deux minutes ! » « Oh ça va, Monsieur je n'ai aucune tâche dans mon casier judiciaire ! Je te rappelle quand même que ce qui s'est passé à Brême c'était de ta faute ! C'est toi qui conduisait, pas l'un d'entre nous ! » « La ferme ! D'une, on avait dit que plus jamais on ne reparlerait de ça. Et deuzio, si vous saviez vous tenir, rien ne serait jamais arrivé. En attendant, cette fois, c'est pas moi qui suit impliqué. Et je te rappelle qu'il y aurait des témoins à l'appui et que si papa et maman l'apprennent, on est tous bons pour entrer dans le clergé ! Alors peut-être que faire des prières tous les jours, c'est ton délire, mais c'est pas vraiment le mien. Il est hors de question que je rate ma vie et mes études parce que t'es pas foutu de rester tranquille dès que tu traînes avec ta pseudo bande ! » « Pff, t'es pathétique. Mêle pas ma bande à tout ça, ok ? Parce que je te ferai remarqué que la tienne cherche toujours les emmerdes et est plus souvent impliquée dans les scandales que mes potes. Et si tu veux... » « PUTAIN MAIS FERMEZ-LA TOUS LES DEUX ! » D'un bloc, ils se tournèrent vers Aloysius, les yeux écarquillés devant son soudain élan de colère. Jamais encore il n'avait élevé le ton contre ses frères et il déglutit, soudainement mal à l'aise. Il se prit la tête dans les mains, les épaules tremblantes. « On s'en fout de quel clan vous faîtes et avec qui vous traînez. Ça ne nous aide pas en ce moment. Et on s'en fout de savoir... Si c'est la faute de l'un ou de l'autre. On est frères, non ? On est de la même famille. Et on est tous dans la même merde, faut qu'on se sert les coudes... » Sa voix se brisa alors qu'il se recroquevillait sur lui-même. Une main réconforte vint se nicher sur son épaule tremblante et il sut qu'il avait le soutien du seul frère qui n'était pas impliqué dans cette guerre des clans ridicules. « Loïs a raison les mecs. Faut que vous arrêtiez de vous prendre le bec pour une foutue histoire de réputation. Y a pas si longtemps que ça encore, on était dans l'ombre ok ? Ca ne vous a jamais empêcher de parvenir à vos buts alors cessez d'agir comme des gamins, bordel. » Il y eut un silence durant lequel les frères rivaux s'affrontèrent du regard avant de se tourner vers le plus sensible d'entre eux. « Il n'empêche qu'il serait temps que vous arrêtiez de faire des conneries aussi. Putain... » « C'était pas notre faute, j'te le jure ! » « Bordel mais tu vas arrêtez de ressasser le même refrain ? » Un soupire s'échappa des lèvres du plus jeune qui se releva du pouf sur lequel il s'était enfoncé et disparut derrière le comptoir de la cuisine. Il en revint avec quatre bières et les posèrent sur la table dans un geste qu'il voulait ferme. « Bon... Qu'est-ce  qu'il s'est passé ? » Nouveau silence et l'aîné soupira à son tour avant de se passer une main sur son visage. « J'attends des explications. » « P'tain tu te prends pour papa ou quoi, là ?! » « Non je me prends pas pour lui, mais je devrais peut-être l'appeler pour lui raconter dans quelle merde vous vous êtes fourrés, qu'est-ce que t'en penses ? » Les hurlements cessèrent d'atteindre Aloysis. Les genoux ramenés contre son torse rachitiques, il s'efforçait de ne plus entendre les insultes et les engueulades de ses frangins tandis que le troisième restait à les observer, sans trop savoir que faire. Venir à New York n'était pas une idée aussi judicieuse qu'il l'avait d'abord pensé. Décapsulant sa bière d'une main tremblante il en avala une grande gorgée, s'essuya la bouche et lança un regard perdu à celui qui restait impartial. Cette guerre durait depuis qu'ils étaient arrivés. Joachim et Geoffroy avaient chacun été enrôlés dans un clan et la bataille s'étendait jusqu'à leur appartement. Des cris incessants et des piques sarcastiques qui fusaient de toute part dès qu'il était question de lys ou d'amaryllis. Et ces injures, ces reproches qui n'en finissaient plus l'usaient. Le rongeaient. Benedikt vint de nouveau poser une main sur son épaule et il ne put que lui lancer un regard et un faible sourire. Un remerciement pâle en comparaison de ce qu'il aurait souhaité pouvoir lui dire. « Aufhören ! » L'allemand. Le seul pouvoir capable de faire s'arrêter les disputes continuelles. Un rappel à leurs parents restés dans leur pays natal et qui, à coup sûr, n'accepteraient qu'un tel déchirement aient lieu au sein de leur famille. Les deux frères, qui en étaient venus à s'attraper par le col, prêts à se frapper, se relâchèrent et, après un ultime regard haineux, s'assirent chacun dans son coin. « Ce n'est pas entièrement de notre faute, » reprenait déjà Benedikt. « On était à une fête, on voulait simplement s'amuser, ok ? Et puis y avait cette fille, je me souviens plus de son nom, elle voulait montrer un coin sympa à Geof' mais comme il était bourré, Loïs et moi, on a décidé de venir avec eux pour vérifier que rien ne déraperait. On a pris quelques bouteilles et on est allé vers le pont de Brooklyn... » Sa voix s'éteignit et il se laissa tomber dans un fauteuil avant de se prendre la tête dans les mains. Un regard compatissant et Aloysius reprenait le récit. « Elle buvait encore. On buvait tous, ok ? Et... Elle, elle s'approchait de l'eau, mais... Vraiment. On était plus très frais alors on voyait pas vraiment bien, on lui a dit de pas trop s'éloigner, mais elle écoutait pas vraiment. Pis Geof' s'est approché, il a voulu l'embrasser, elle s'est laissé faire. Sauf qu'il était vraiment raide et il a trébuché et ça l'a poussée dans l'eau. Avec Ben on a réussit à retenir Geof avant qu'il ne tombe aussi mais pas elle. » Il se tint la tête quelques secondes, avala une nouvelle rasade de sa bière comme s'il désirait se donner un peu de courage. « On a mis Geof' en sécurité parce qu'il arrêtait pas de dire qu'il voulait plonger pour aller la récupérer, on a du l'éloigner. J'ai appelé les ambulances, tout ça puis je l'ai vue. Elle se débattait, elle était proche de la rive encore alors j'ai voulu l'attraper. Sa main glissait et j'arrivais pas à la tenir longtemps. Et elle commençait à couler, je crois qu'elle se débattait trop et les ambulances mettaient du temps avant de venir et sa main a encore glissée et Geof se débattait derrière et Ben avait du mal à le retenir et... C'était horrible. » Mal à l'aise, coupable sous le regard froid de son aîné, Aloysius baissa les yeux et tira sur son t-shirt nerveusement. « J'ai rien pu faire. J'ai essayé mais Ben me hurlait de venir l'aider et Geof était prêt à plonger lui aussi. S'il l'avait fait, il serait mort directement. Les ambulanciers ont finit par arriver mais ils ont pas réussit à la retrouver, et quand ils nous ont demandé ce qui s'était passé, on a mentit. On n'a pas réfléchit ok ? On voulait pas finir en taule ou qu'ils appellent les parents alors on a dit que c'était une hallucination, une blague de mauvais goût que Ben et moi voulions faire à Geof. Mais la nana, c'était la fille d'une de grandes têtes de Wall Street. Sa photo fait la une de partout. Des gens nous ont vu partir avec elle à la soirée, on est foutu... » Il avait l'air minable, recroquevillé sur lui, se balançant d'avant en arrière dans l'espoir vain de se rassurer et d'effacer ses souvenirs. De son côté, Benedikt fuyait le regard du plus vieux, jouant avec la peau sèche autour de ses ongles en secouant sa jambe frénétiquement. Geoffroy restait assis, sans rien dire, sans rien faire. Attendant patiemment la sentence qui lui tomberait dessus tôt ou tard. Et le silence prolongé de Joachim ne les aidait pas à se sentir mieux.
Soudain, l'aîné se leva, attrapa Geoffroy par le col et, alors que celui-ci faisait mine de vouloir se défendre, il l'enlaça. Ils ne bougèrent pas, Geoffroy osant à peine respirer et lançant un regard paniqué à ses deux autres frères, Joachim le tenant toujours serré contre lui. « J'suis content que t'aies pas plongé, » murmura-t-il mais tous l'avaient entendu. Une vague de nostalgie et de regret emplit le cœur d'Aloysius. C'était la base de leur enfance. Des jeux idiots, des conneries à chaque ouverture mais toujours un très fort amour fraternel, peu importe ce qui avait pu arriver. Alors il se releva à son tour, fit signe à Benedikt d'en faire de même et tous deux se mêlèrent à cette étreinte. Ils se soutenaient et s'épaulaient malgré tout. Aloysius agrippa le bras de Geoffroy, entourant le dos de Joachim, coinça sa tête blonde à côté de celle de Benedikt.
« J'ai entendu parler de quelqu'un. Elle a un cabinet en ville, elle s'occupe de ce genre d'affaire, celle qui fait verser l'encre de la presse tout ça. Demain, on ira la voir. Vous lui raconterez toute l'histoire sans rien omettre. Deal ? » Joachim s'était légèrement éloigné et laissait son regard passer sur chacun de ses frères qui, d'un même mouvement, acquiescèrent vigoureusement. Deal.