Encore une journée à flâner dans les plus belles rues de Manhattan, CV en main, dans l'espoir de dénicher une petite entreprise. Encore une journée de perdue, en somme. Elle faisait le chemin du retour, le pas traînant, une soudaine envie de prendre le premier l'avion pour la Finlande lui serrant le cœur et l'estomac alors qu'elle commençait à croire qu'elle n'était peut-être pas douée. Peut-être que tous ces enfants qui ne la connaissaient qu'à peine, là-bas, en Égypte, avaient raison, après tout. Elle n'était peut-être qu'une détraquée ratée qui faisait honte à ses parents. Elle se figea sur le trottoir, choquée par la portée de ses propres pensées. La douleur d'un amour parental négligé ; la souffrance d'une maladie enfouie. Elle n'était rien, au final. Fébrilement, elle ouvrit son sac, fouilla dedans mais ne trouva guère ses médicaments. Ah, oui. Elle les avait laissé chez elle. Ses mains devinrent tremblante. Pauvre chose perdue. Pauvre malade rendue addict à un traitement censé la soigner. La terrible réalité venait la fouetter en pleine face, l'empêchant de marcher, menaçant même de bloquer sa respiration. Seule au milieu de ce trottoir devenu gigantesque, devenu labyrinthe, Luukas sentait les convictions s’évanouir, sa détermination s'envoler. Pliée en deux, prête à vomir son dégoût pour elle-même, l'égyptienne se rappelait pourtant d'une voix si familière, si amicale qui venait la rassurer au creux de l'oreille. Jay. Toujours lui. Uniquement lui. Si loin, là-bas dans les terres arides où se trouvait sa famille, et pourtant toujours présent. Prenant soudainement compte de sa position déplorable et de sa propre stupidité, Luukas se couvrit la bouche de sa main et se mit à rire nerveusement. Bien évidemment qu'elle n'était pas une ratée. Sa sœur aînée travaillait pour une société réputée, elle-même leur donnait parfois quelques coups de main en free-lance, elle travaillait aussi dans une librairie lorsque son emploi du temps le lui permettait et elle était capable de craquer des systèmes presque aussi important que celui du FBI. Et elle battait n'importe qui à un jeu vidéo style Street Fighter et elle pouvait chanter n'importe quelle chanson écoutée ne serait-ce qu'une seule fois. Des qualités qui n'étaient pas donné à tout le monde. Et même si elle ne trouvait pas de cabinet d'avocat qui voulait bien d'elle, elle pourrait faire passer son métier de libraire sur un temps-plein. Le propriétaire avait déjà soulevé l'idée. « Tu n'es pas une ratée. » Elle souffla, et reprit sa route.
L'appartement était vide. Déprimant. Lançant négligemment ses clefs sur la table basse avant de faire de même avec son manteau sur le sofa, elle se dirigea vers la chaîne hi-fi et mit la musique. Coup d’œil vers l'horloge. Elle avait encore un peu de temps avant de devoir retourner affronter l'extérieur pour son rendez-vous spécial Double Lu avec Barbie. Celle-ci l'avait appelée, quelques jours plus tôt, dévastée et en larmes, vraisemblablement pour lui annoncer sa rupture avec son petit ami. Luukas, peu douée en matière de relations amoureuses, n'avait pas sut quoi dire et avait enchaîné les blagues finnoises de mauvais goût avant de proposer qu'elles ne se voient pour préparer une petite soirée entre elles. Au programme, de la bouffe, obligatoire avec l'égyptienne, des films, de la musique, des jeux, beaucoup de blague, beaucoup d'alcool et une belle gueule de bois pour le lendemain matin. Avec un peu de chance, Barbie serait un peu plus remontée qu'elle ne pouvait l'être en cet instant. Elle secouait la tête dans tous les sens, sautillant tout en avançant dans son salon trop grand, mimant un guitariste. Bien, si la soirée se passait chez son amie, il n'en restait pas moins qu'elle comptait bien ramener de quoi rendre la nuit intéressante. Parmi sa large collection de DVD, elle tira quelques films d'horreur, des classiques de la science-fiction comme l'incontournable 2001, Space Odyssey, les premières œuvres de Tarantino et le dernier de Wes Anderson. A défaut de savoir trouver les mots pour réconforter, elle pourrait au moins bâtir la culture ciné de sa jeune amie. Elle prenait et jetant par-dessus son épaule d'un geste bref. Elle finit par se retourner, s'aperçut qu'elle avait perdu plus d'une heure sur son choix crucial. Une grimace vint aussitôt se peindre sur ses traits délicats. Okay, fallait qu'elle se prépare si elle ne voulait pas arriver en retard.

C'était une première. S'il avait été là, Jay aurait été fier de se rendre compte que Luukas pouvait être à l'heure à un rendez-vous. Et même ! En avance pour l'occasion. Elle avait enfilé un jean sombre qui avait une jambe pas mal écorchée et l'autre entièrement arrachée et un top plus simple où était lisible une inscription dans un langage que seuls les puristes de la saga Stargate pourraient déchiffrer. Un sac sur l'épaule, une boîte métallique lui encombrant un peu les bras, Luukas s'improvisa contorsionniste afin de parvenir à sonner avec appuyant sur le bouton avec son coude. Dès que le visage si amical et si attachant de Barbie apparut, elle eut un large sourire. « Heeeeey you, guess who's here ? » Déposant la boîte sur le sol le temps d'enlacer son amie dans ses bras, Luukas en profita pour déposer un baiser dégoulinant sur la joue de celle-ci. « Ca va bien, et toi ? » Elle venait tout juste de reprendre son colis lorsque Barbie l'entraîna à sa suite dans la cuisine. Elle haussa les épaules et esquissa une grimace qui se voulait amusante. « Naaaaah ! T'inquiète, je suis arrivée un peu en avance. C'est un miracle d'ailleurs... Oh ! Avant que j'oublie ! J'ai apporté quelques trucs. » Et elle déposa son colis sur un coin de la table avant de l'ouvrir. « Bon, ça a l'air gros, mais en fait, c'est que j'ai surtout mis beaucoup, beaucoup, beaucoup d'emballage et de protection parce que je suis maladroite et que j'étais certaine que j'allais abîmer quelque chose... Enfin bref. C'est pas grand chose, mais... Voilà. » Dans la boîte se trouvaient en réalité plusieurs petits objets minutieusement emballé et scotché de façon forcené par la jeune égyptienne ; un album photo contenant, par défaut, une photo de Barbie et d'elle-même, prise en traite par Jay une soirée passée à discuter tous les trois ; une boîte à bijoux contenant un simple collier avec un pendentif sur lequel il était possible d'y faire graver quelques inscriptions et un album de Stevie Nicks. « Jay m'a filé un coup de main, je dois bien le reconnaître. Quant au CD, je viens juste de découvrir cette chanteuse et je la trouve juste... Fantastique. Aussi bien artistiquement que personnellement. C'était une adepte du Wicca... Tu connais le wicca ? C'est une sorte de forme de sorcellerie spirituelle tout en étant aussi une religion qui voue un culte à la nature. Elle a un style un peu particulier mais je l'ai adoré et je pense que ça peut te plaire. » Elle sourit, légèrement nerveuse et maladroite. Tous ces présents, elle les avait fait en espérant réussir à faire oublier sa rupture à Barbie. Se mordant légèrement la joue intérieure, la jeune avocate observait son amie s’affairer. « Oh bah tu sais... Jay est en Égypte en ce moment, l'appartement est plutôt calme, du coup je vais souvent passer mes soirées chez Lily. La mère de Serena. J'ai eu mon diplôme, je suis donc officiellement reconnue par l'Etat pour être avocate, même si je ne trouve pas le moindre cabinet pour m'embaucher. Oh et je pense me prendre un furet. C'est mignon un furet et ça sait faire pas mal de choses. Et toi alors ? » La question avait été prononcée d'un ton hésitant. C'est qu'elle ne voulait pas mettre les pieds dans le plat. « Tu m'as manqué aussi, kultaseni. Ca veut dire darling en finnois, » préféra-t-elle traduire dans un sourire.