« Dylan ! Dylan ! » Le ton, paniqué, ajouté aux sanglots étouffés de la voix suffirent à faire se lever la jeune adolescente d’un bond. Dehors, la pluie et les éclairs s’entrelaçaient, dansant sur un fond noir ténébreux et mystique. Une nuit chaotique, apocalyptique. Les cheveux ébouriffés, le t-shirt de travers et les jambes mordues par une chair de poule tenace en cette nuit d’hiver, Dylan ouvrit la porte de sa chambre à la volée avant de dévaler les escaliers. Les cris, eux, ne cessaient pas. « Dylan ! » La porte s’ouvrit, laissant place à une pénombre angoissante. Reculée dans un coin invisible de la pièce, la silhouette anorexique de Luukas se laissait deviner. Lentement, la jeune fille lâcha la poignée et s’avança. « Bouge pas ! Reste où t’es ! » Elle se figea. La voix tendre de sa sœur s’était faite autoritaire et froide. « Lu ? Lu, c’est moi. C’est Dylan. Tu m’as appelée, tu te souviens. » Le silence. Entrecoupé, parfois, par la respiration saccadée de la jeune fille. Entrecoupé, souvent, par les pleurs qui semblaient la secouer. « Dylan ? » A nouveau ce ton apeuré, cette expression de faiblesse et d’angoisse. L’adolescente acquiesça, oubliant qu’il faisait nuit et que sa cadette ne pourrait la voir. « Dylan, il faut que tu partes. Faut que tu partes vite avant que je m’en prenne à toi… Je t’en prie, pars. » « Quoi ? Lu, je ne comprends pas ce que tu dis… » La moquette lui brûlait les pieds à mesure qu’elle avançait, la lune, dissimulée derrière d’épais nuages s’amusait de cette scène horrifique. Dylan tendit la main, l’espoir qu’elle parviendrait à attraper sa jeune sœur laissait son cœur cogner dans sa poitrine. Elle avait la gorge nouée, les yeux baignés par des larmes amères et un drôle de sentiment qui glaçait son palais. La peur qui la tenaillait n’était rien en comparaison de ce que son âme lui hurlait. « J’en suis un, Dylan. Pas vrai ? Je sais que j’en suis un. Il faut que tu sortes d’ici, je vais te blesser. T’approches pas Dylan, je ne veux pas te blesser. Je veux pas… Il faut que… Que je… » Enfin elle y était. L’adolescente attrapa sa sœur pour l’enlacer avec tendresse. Le cœur serré, elle la retint fermement lorsque Luukas fit mine de se débattre pour lui échapper. Elle la tenait prisonnière entre ses bras solides, entendait ses pleurs et ses insultes, excusait ses sanglots et ses demandes. Elle ne bougeait pas, attendait. Patiemment. Que leurs parents se réveillent à leur tour. Elle ne bougeait pas, attendait. Que Luukas se calme et s’endorme contre son épaule. Elle ne bougeait pas, attendait. Qu’on emmène sa sœur.

« Votre fille semble souffrir de psychose. » La sentence venait de tomber. L’épée de Damoclès qui planait au-dessus de la famille finlando-égyptienne venait de s’abattre. Sans aucune douceur et sans aucun remord. D’un même accord, les têtes se baissèrent, se relevèrent ; dans un même écho, les regards se tournèrent, dévièrent. Elle avait pourtant l’air d’aller bien, en cet instant, à cette seconde. Sereine et calmement assise dans un siège inconfortable, les yeux doux et le regard curieux, un sourire poli et vif flottant sur des lèvres pâles. « Qu’est-ce que ça signifie, vraiment, Docteur ? » « Il est encore difficile de se prononcer. Il y a différentes formes de psychoses mais celle de Luukas semble se manifester sous forme d’hallucination. Elle va aller bien et soudainement, elle va être persuadée d’être quelqu’un d’autre. Généralement, ce ne sont que de courtes phases mais il suffit parfois pour que le patient fasse preuve d’une certaine violence. Envers son entourage et surtout envers elle-même, comme le prouve les ecchymoses qui recouvrent ses avant-bras. » « Ca se soigne ? » Le silence qui suivit était insupportable. Dylan se leva d’un bond, quitta la pièce sans que personne ne fasse mine de vouloir la retenir. Lentement, elle s’approcha de sa jeune sœur, esquissa un faible sourire et passa un bras protecteur autour de ses épaules si frêles. « Dylan ? Tu passeras me voir souvent, hein ? » « Comment ça… ? » « Quand je serai enfermée. Je sais qu’ils veulent pas que je sorte parce que cette nuit, j’ai fait un rêve étrange, mais j’espère que tu pourras au moins venir me voir. Toi et Jay. » « Bien sûr que je viendrai. Le plus souvent possible, même ! » Dans ses yeux sombres s’affichèrent les premières larmes tandis qu’elle resserrait son étreinte autour des épaules de sa cadette. Une déchirure au fond d’un cœur meurtri qu’aucune parole n’aurait sut effacée. La main de Luukas se leva, plongea dans la chevelure de son aînée qu’elle caressa lentement. « Ne t’en fais pas Dylan. Tout va bien se passer. » Le sourire sincère de l’enfant ne parvint, toutefois, pas à sécher le sillon laissé par des larmes dévastées.